2010 - Regards cachés

La langue dit juste. Il y a ce qu'on peut prendre et ce qu'on ne peut ou ne doit pas prendre. Buissonnant sur la frontière entre les deux, il y a ce qu'on prend en photo.

Ce qui se joue dans la prise de vue de Bronces, c'est une déprise immédiate, comme la détente d'un ressort. Son oeil est attiré dans la réalité par les mouvements indécidables, les potentialités sous contrainte.

Telle main s'approche d'un cheval, à moins qu'elle ne s'éloigne, retirée. Tel regard se faufile entre les barreaux d'une grille qui tient le corps prisonnier. Telle étrangère fait face à la mer, happée par son appel, bloquée par sa masse.

Bronces partage avec ses figures de femmes et d'enfants de dos, subissant l'appel du large en même temps que la contrainte de l'obstacle, l'envie de voir et l'impossibilité de se mouvoir. Il lui revient d'émouvoir, simplement.

jouissance et la douleur sont dans le retrait, la prise suivie de la déprise. Les regards sont tournés vers l'ailleurs. Un, pourtant, celui d’une femme qui braque son propre appareil contre celui du preneur d’images, lui retourne son œil photographique. Là, en arrière-plan, la concavité des gradins du théâtre antique où est prise la vue, renforce le message: tout n’est qu’œil et spectacle. La fontaine naturelle où se loge l’œil convié à la beauté du bain est encore un décor et déjà un cliché.

Car dans le fond, le travail photographique de Bronces dit simplement en quoi notre œil se débat, entre le déjà-vu et ce qui n’est encore qu’entrevu. Il est dans toute photo une porte qui s’entrouvre et se referme comme une paupière. Dans la photographie de la mère et de l’enfant, s’ouvre un insert rouge sang.

La vie sous la pellicule.

Thierry Dufrêne est Professeur d’Histoire de l’art contemporain à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Il est membre de l’Association internationale des critiques d’art (AICA). Décembre 2013

Exposition C&S -Fondation Boissel Bourgoin-Jallieu Octobre 2015 - Acquisition Fondation Boissel « La solitude »